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Les anniversaires de la Réforme" - Chrétiens et Sociétés XVIe-XXIe siècles N°23-2016
coordonné par Yves Krumenacker
Publié le 23 janvier 2017 – Mis à jour le 1 février 2017
Célébrer Luther ou la Réforme ? Tel est le titre d’un ouvrage récent qui montre bien le malaise protestant face aux célébrations du cinquième centenaire des thèses contre les indulgences de Luther qui mettent bien souvent l’accent sur Luther plus que sur la Réforme elle-même.
Les anniversaires de la Réformation apparaissent ainsi comme des occasions de dire autre chose, la lutte confessionnelle, l’identité nationale, la célébration de certaines vertus, etc. Cela se poursuit évidemment à l’époque contemporaine.
La multiplicité des regards sur Luther en fonction du contexte politique apparaît clairement à travers les téléfilms au temps de la guerre froide, comme nous le rapporte Ferdinand Schlie, alors qu’aujourd’hui Luther semble faire consensus, au prix néanmoins de l’occultation de certaines réalités, au point que les parlementaires allemands considèrent à l’unanimité que la Réforme est un événement mondial – une prise de position tout à fait étrange vue de France (Hartmut Lehmann). Luther est même devenu l’objet d’un véritable commerce, comme le rappelle la couverture de ce numéro : si des objets se rapportant à lui existent depuis bien longtemps (beaucoup sont d’ailleurs visibles au musée de Wittenberg), le nombre de gadgets les plus surprenants a considérablement augmenté à l’approche de ce cinquième centenaire.
La commémoration n’a pas concerné que les États luthériens. Mais les pays touchés par la Réforme calviniste sont réticents à considérer 1517 comme un moment fondateur. À Genève, ce n’est qu’en 1635 qu’une commémoration de la Réforme a lieu, pour le centenaire de l’abolition de la messe ; ce n’est donc pas Luther qui est célébré, mais la Réforme genevoise. Au siècle suivant, les jubilés se multiplient, mais toujours liés à la Réforme en Suisse. Zurich fête en 1719 la première prédication de Zwingli, Berne son passage à la Réforme en 1728, Genève célèbre son jubilé en 1735. Au XIXe siècle, on a les jubilés de Zurich (1819), Berne (1828), Neuchâtel (1830), Genève (1835, 1864). Le Monument international de la Réforme, à Genève, commencé en 1909 mais inauguré un peu par hasard en 1917, est symbolique de l’identité protestante helvétique où la Réforme, principalement calvinienne, est la source de la modernité, explique Sarah Scholl
Les Églises réformées de France ont apparemment totalement ignoré le jubilé de 1617 et n’ont pas pu célébrer celui de 1717, à cause de la révocation de l’édit de Nantes. Il faut attendre 1817 pour qu’un jubilé y soit célébré, mais seulement par les Églises luthériennes de Paris et de Strasbourg. C’est encore l’Église luthérienne de Paris qui demande au pasteur Cuvier un sermon en 1846 pour commémorer la mort de Luther. Céline Borello montre que c’est l’occasion de valoriser l’œuvre de Luther et de la Réforme, sans grande innovation, mais dans un contexte où les intellectuels français sont attirés par l’Allemagne. C’est cependant la Réforme française qu’on préfère commémorer au XIXe siècle, à travers les manifestations du 29 mai 1859 (3e centenaire du premier synode national des Églises réformées de France), puis d’octobre 1885 (2e centenaire de la Révocation de l’édit de Nantes). En 1866, cependant, est lancée la fête de la Réformation ; le jour retenu est le 1er novembre, jour férié en France, mais la consigne est d’associer la fête à des « souvenirs tout français » plutôt qu’aux 95 thèses. Ce contexte français explique sans doute la parution de ce très étrange numéro de 1918 de la Revue de Métaphysique et de Morale, que Patrick Cabanel nous fait découvrir, un numéro qui veut célébrer la modernité de la Réforme (calviniste et française surtout) sans prendre de parti religieux ni choquer les catholiques, qui intègre les thèses de Troeltsch tout en retraçant toute l’histoire de l’humanité. On retient bien 1917, mais Luther a pratiquement disparu, il est totalement effacé par Calvin, pour qui cette date ne signifie rien…
Ce numéro de la revue "Chrétiens et sociétés" a été dirigé par Yves Krumenacker, professeur d’Histoire à l’Université Lyon 3. Il étudie l'histoire religieuse, et principalement l'histoire de la spiritualité, de la théologie et du protestantisme.
Pour consulter le numéro en ligne, consultez ce lien vers la revue Chrétiens et Sociétés.
Les anniversaires de la Réformation apparaissent ainsi comme des occasions de dire autre chose, la lutte confessionnelle, l’identité nationale, la célébration de certaines vertus, etc. Cela se poursuit évidemment à l’époque contemporaine.
La multiplicité des regards sur Luther en fonction du contexte politique apparaît clairement à travers les téléfilms au temps de la guerre froide, comme nous le rapporte Ferdinand Schlie, alors qu’aujourd’hui Luther semble faire consensus, au prix néanmoins de l’occultation de certaines réalités, au point que les parlementaires allemands considèrent à l’unanimité que la Réforme est un événement mondial – une prise de position tout à fait étrange vue de France (Hartmut Lehmann). Luther est même devenu l’objet d’un véritable commerce, comme le rappelle la couverture de ce numéro : si des objets se rapportant à lui existent depuis bien longtemps (beaucoup sont d’ailleurs visibles au musée de Wittenberg), le nombre de gadgets les plus surprenants a considérablement augmenté à l’approche de ce cinquième centenaire.
La commémoration n’a pas concerné que les États luthériens. Mais les pays touchés par la Réforme calviniste sont réticents à considérer 1517 comme un moment fondateur. À Genève, ce n’est qu’en 1635 qu’une commémoration de la Réforme a lieu, pour le centenaire de l’abolition de la messe ; ce n’est donc pas Luther qui est célébré, mais la Réforme genevoise. Au siècle suivant, les jubilés se multiplient, mais toujours liés à la Réforme en Suisse. Zurich fête en 1719 la première prédication de Zwingli, Berne son passage à la Réforme en 1728, Genève célèbre son jubilé en 1735. Au XIXe siècle, on a les jubilés de Zurich (1819), Berne (1828), Neuchâtel (1830), Genève (1835, 1864). Le Monument international de la Réforme, à Genève, commencé en 1909 mais inauguré un peu par hasard en 1917, est symbolique de l’identité protestante helvétique où la Réforme, principalement calvinienne, est la source de la modernité, explique Sarah Scholl
Les Églises réformées de France ont apparemment totalement ignoré le jubilé de 1617 et n’ont pas pu célébrer celui de 1717, à cause de la révocation de l’édit de Nantes. Il faut attendre 1817 pour qu’un jubilé y soit célébré, mais seulement par les Églises luthériennes de Paris et de Strasbourg. C’est encore l’Église luthérienne de Paris qui demande au pasteur Cuvier un sermon en 1846 pour commémorer la mort de Luther. Céline Borello montre que c’est l’occasion de valoriser l’œuvre de Luther et de la Réforme, sans grande innovation, mais dans un contexte où les intellectuels français sont attirés par l’Allemagne. C’est cependant la Réforme française qu’on préfère commémorer au XIXe siècle, à travers les manifestations du 29 mai 1859 (3e centenaire du premier synode national des Églises réformées de France), puis d’octobre 1885 (2e centenaire de la Révocation de l’édit de Nantes). En 1866, cependant, est lancée la fête de la Réformation ; le jour retenu est le 1er novembre, jour férié en France, mais la consigne est d’associer la fête à des « souvenirs tout français » plutôt qu’aux 95 thèses. Ce contexte français explique sans doute la parution de ce très étrange numéro de 1918 de la Revue de Métaphysique et de Morale, que Patrick Cabanel nous fait découvrir, un numéro qui veut célébrer la modernité de la Réforme (calviniste et française surtout) sans prendre de parti religieux ni choquer les catholiques, qui intègre les thèses de Troeltsch tout en retraçant toute l’histoire de l’humanité. On retient bien 1917, mais Luther a pratiquement disparu, il est totalement effacé par Calvin, pour qui cette date ne signifie rien…
Ce numéro de la revue "Chrétiens et sociétés" a été dirigé par Yves Krumenacker, professeur d’Histoire à l’Université Lyon 3. Il étudie l'histoire religieuse, et principalement l'histoire de la spiritualité, de la théologie et du protestantisme.
Pour consulter le numéro en ligne, consultez ce lien vers la revue Chrétiens et Sociétés.
Mise à jour : 1 février 2017