Dans la grande tradition des cyniques antiques, Michel Houellebecq, en observateur apparemment détaché, scrute le monde ultramoderne dans ses affolantes dérive sociales, politiques, individuelles. Et il livre un point de vue qui peut sembler désolant sur l'humanité. Tel un Diogène ressuscité (mais la quête du bonheur est-elle possible ?), il semble ne ménager ni les convenances, ni le droit moral, ni la bonne conscience, perçus trop souvent comme hypocrites, voire morbides.

Avec l'impertinence pour signature, Michel Houellebecq brouille les cartes de l'interprétation et agace à dessin les frontières du dicible (usant parfois du franc-parler des cyniques grecs) : son écriture, philosophique sans doute, contourne les pièges du sentencieux pour offrir des représentations diffractées de la réalité extérieure tout autant que des représentations dérisoires d'un moi toujours hanté par le vide et l'incohérence. Aussi, à l'œuvre dans tous ses romans, la négation travaille-t-elle de l'Intérieur (est-elle pour autant négativité comme se le demandait Sartre ?). la négation fait bien sûr écho au titre Anéantir (texte sorti le 7 janvier 2022).

À nous de considérer le style houellebecqien dans ce qu'il a de plus singulier : à quelles distorsions imposées à l'orthodoxie des genres et des tons sommes-nous confrontés comme lecteurs ? Aurions-nous affaire à des contre-épopées offertes comme seules variations littéraires possibles ? Ou à la présence d'un lyrisme contenu, pudique, délivré en creux ? Ou s'agit-il même d'un narcissisme et alors de quelle sorte est-il ? Bien d'autres questions stylistiques se détachent.

L'auteur choisit-il une écriture « blanche » qui ferait le pari d'un prosaïsme et d'une platitude, à prendre au second degré, ce qui donnerait naissance à une ironie d'un nouveau genre ? Et où trouver les marques d'une subtile dérision, marque forcément ténues et incertaines ? Comment, par quels procédés linguistiques et rhétoriques, cette écriture originale permet-elle au lecteur de saisir/partager l'expérience d'une non-adhésion au monde qui l'entoure, comment le met-elle en apesanteur ? en difficulté ? La question de la réception de l'œuvre de Houellebecq est au cœur des recherches à mener.

En cela, nous ne pourrons éviter de nous interroger sur les positions que cet écrivain a prises, parfois en rupture avec la doxa, mais nous focaliserons notre questionnement sur les procédés qui pourraient faire naître du prosaïsme le plus radical un nouveau romantisme. Michel Houellebecq est aussi un écrivain de l’autodérision (autodérision toujours ambiguë si l'on en croit les moralistes du Grand Siècle), que ce soit par son dandisme à l'envers ou par le grand roman dans lequel il se met en scène : La Carte et le Territoire, roman qui décrit une France en voie de muséification et qui lui a valu le prix Goncourt.

L'œuvre poétique de Houellebecq pourrait nous donner la clef d'une quête ulcérée et obstinée, d'une recherche de l'épure, à moins qu'on aille la chercher du côté de ses performances de comédiens. Quoi qu'il en soit, Michel Houellebecq crée son personnage d'écrivain avec la même attention qui préside à la fabrication de l’ethos de ses héros. C'est sur cette mystérieuse fabrication d'une œuvre dérangeante et magistrale que porteront nos réflexions.
Une discussion en présence de Michel Houellebecq clôturera le colloque.

 

PROGRAMME

 

Jeudi 17 novembre

A P R E S - M I D I

13h30 Accueil des participants   14h00 Introduction au colloque par Fabienne Boissieras | Le tact Houellebcquien   SESSION 1 : RÉALISME ET DÉRISITION Présidée par Fabienne Boissiéras   14h30 Sandrine RABOSSEAU (Université Jean Moulin Lyon 3) | Le néonaturalisme de Houellebecq 15h Éric BORDAS (ENS Lyon) | Poétique des noms propres et pratique houellebecquienne du Name Droping 15h30 Clément LEMAÎTRE (Doctorant à l'Université de Lille) | Où est passé l'humour houellebecquien ? 16h Florence LECA-MERCIER (Université Paris IV) |L'ironie dans Soumission  PAUSE   SESSION 2 : POÉSIE HOUELLEBECQUIENNE Présidée par Stéphane Chaudier 17h Élise NOTTET (Université Paris IV) | La langue des poèmes est-elle littéraire 17h30 Lionel VERDIER (Université Jean Moulin Lyon 3) | ça rime à quoi : playlists Houellebecq

Vendredi 18 novembre

M A T I N

SESSION 3 : GRAMMAIRE HOUELLEBECQUIENNE Présidée par Violaine Géraud 9h30 Cécile NARJOUX (Université Paris IV) | La négation dans Sérotonine 10h Mathieu BERMAN (Université Paris VIII) | D'une phrase à l'autre 10h30 Stéphane CHAUDIER (Université de Lille) et Joël JULY (Université d'Aix-Marseille) | Modaliser, flouter, piéger l'assertion du vrai : les formes en -rais 11h Florence PELLEGRINI (Université  de Bordeaux) | Modes et "voix" du récit houellebecqien : effet de floutage énonciatif 11h30 Jean-Marc QUARANTA (Université  d'Aix-Marseille) | Éffacement stylistique et mélange des genres 12h Synthèse

A P R E S - M I D I

SESSION 4 : POÉTIQUE DE LA LACUNE Présidée par Florence Leca-Mercier 14h30 Marie BLAISE (Université Montpellier 3) | Vanité(s) et poursuite du vent : poétique et posture et posture de la mélancolie dans l'œuvre de Michel Houellebecq 15h Caroline JULLIOT (Université Le Mans) | "Le lecteur s'il est aussi attentif que je l'imagine, complètera" : narration lacunaire et désinvolture auctoriale 15h30 Agathe NOVAK-CHEVALIER (Université Paris X) | "ce n'est pas écrit" : l'écrit, le dit et le silence dans l'œuvre de Michel Houellebecq  PAUSE  ÉPILOGUE : RENCONTRE LITTÉRAIRE 17h Rencontre avec Michel Houellebecq : questions posées par les étudiants et chercheurs autour de la fabrique stylistique de son œuvre